COMMENT RÉDUIRE LES CONSOMMATIONS

DE PÉTROLE ET DE GAZ NATUREL ?

 

Par Jacques FROT

 

Nous avons vu, dans un précédent message (Jacques FROT 11/01/03) que la France (et cela est vrai pour tous les pays riches) doit s’efforcer de maîtriser ou mieux encore de réduire autant que faire se peut ses consommations de pétrole et gaz naturel, ceci pour deux raisons : (1) tarissement des ressources mondiales dans les quelques décennies à venir d’où renchérissement  et vulnérabilité économique de notre pays qui n’en produit que 1 à 2% de ses besoins ; (2) graves risques -bien que non encore rigoureusement démontrés- de changements climatiques à cause de l’accroissement de l’effet de serre engendré par ces 2 combustibles fossiles.

Ajoutons : en garder un peu pour nos descendants ; les réserver aux missions qu’ils sont seuls à pouvoir accomplir : les transports routiers et la chimie.

 

Que peut y faire la France (et plus généralement l’Europe et les pays développés) ?

 

Plusieurs actions peuvent être envisagées, dont certaines déjà entreprises, qui ne sont pas exclusives les une des autres.

 

01.Les économies d’énergie

C’est l’action prioritaire.

Des économies ont déjà été faites : la baisse de l’intensité énergétique (consommation par unité de PIB) des pays développés, dont la France, en est la preuve. Mais de grandes économies d’énergie sont encore possibles, en particulier dans l’habitat et dans les transports dans les pays de l’OCDE . Par exemple une étude du Commissariat Général au Plan (Energie 2010-2020) conclut que les Français pourraient économiser plus de 40% de leurs consommations d’énergie. Ce résultat est évidemment extrapolables aux autres pays développés.

Réaliser ces économies supposerait non pas des sacrifices sur la qualité de vie mais des changements d’habitudes et de comportements, voire de culture...ce qui ne peut se faire qu’au rythme des générations. Ce sera long et, à court et moyen terme, paradoxalement cher avant que l’énergie que l’on ne consommera pas devienne quasiment gratuite. Un exemple simple néanmoins : une ampoule de 100 Watts qui brûle inutilement dans chacun des 20 millions de foyers français consomme la production de 2 réacteurs de 1000 MW chacun.

Les pays riches d’aujourd’hui se sont développés dans un contexte de gaspillage énergétique. Ils devraient aider les pays en développement (PVD) à ne pas faire la même erreur.

 

02. L’éco-taxe (?)

La pénalisation fiscale des émetteurs ne peut être imaginée que dans le cadre d’un règlement international faute de quoi elle pénaliserait injustement les prix de revient donc l’activité industrielle du premier pays qui aurait le courage -la témérité- d’en prendre l’initiative. Serait-elle équitable pour les PVD ?

Notons ici que, en Europe, les carburants routiers sont lourdement taxés (TIPP française) ce qui, implicitement, engendre des économies et participe donc à la modération du phénomène effet de serre : ces taxes ne sont pas baptisées « éco » mais participent évidemment à l’écologie.

 

03. La séquestration du CO2 (?)

Elle pourrait prendre différentes formes plus ou moins respectueuses de l’environnement; diverses voies sont à l’étude ; leur coût en est encore mal connu mais entraînerait, semble-t-il, un doublement du coût d’exploitation des énergies fossiles sur la base d’un pétrole à 25 $/baril. On peut penser néanmoins que la séquestration du CO2 sera incontournable car les énergies fossiles carbonées ont un tel poids dans le bilan énergétique mondial (de l’ordre de 90%) que leur utilisation restera massive durant encore quelques décennies (tant qu’il y en aura à coût d’accès supportable), en tout cas plus massive et plus longtemps que ne peuvent être tolérées des émissions de G.E.S aussi importantes qu’aujourd’hui.

 

04. La co-génération et le cycle combiné

Ce type de solution ne concerne que modestement (usines productrices de leur propre énergie) la France qui fabrique plus de 90% de son électricité avec des centrales nucléaires (78%) et de l’hydraulique (15%).

Toutefois la co-génération (production simultanée d’électricité et de vapeur basse / moyenne pression utilisée par exemple pour le chauffage urbain ou les besoins de calories industrielles) est, dans le principe, possible avec des réacteurs nucléaires à condition que ceux-ci puissent être installés à proximité des centres de consommation. Il faudra faire en sorte que cela soit possible avec les réacteurs du futur (Génération IV). Notons au passage que l’on peut valoriser les calories « source froide » (celles du 2ème principe de la thermodynamique) des réacteurs nucléaires en dessalant l’eau de mer. Nous y reviendrons au § suivant.

 

05. Les réacteurs nucléaires

Ils ont 2 immenses vertus non sérieusement contestables : (1) ils ne consomment pas d’hydrocarbures dont nous avons vu que nos petits-enfants en connaîtront le tarissement des ressources ; (2) ils n’émettent pas de gaz à effet de serre (G.E.S.). Ajoutons -mais c’est un sujet que je développerai dans un message ultérieur- qu’ils se sont révélés à ce jour les moins meurtriers de tous les moyens de production d’électricité utilisés à ce jour par les hommes et en particulier en France.

A ce jour ils ne font guère que de l’électricité. On pourrait dès maintenant leur demander de dessaler de l’eau de mer pour fabriquer l’eau douce qui fait tant défaut aux PVD. Rappelons ici que 25 millions de M3 d’eau de mer sont dessalés chaque jour…et bientôt (10 ans ?) 100 millions.

Les réacteurs de Génération IV sauront également fabriquer de l’hydrogène : vecteur d’énergie que nous évoquons plus loin.

Notons que les réacteurs aujourd’hui opérationnels ne sont pas adaptés à la majorité des régions en développement : ils sont trop gros, exigent des réseaux de distribution inexistants dans les zones à population disséminées, sont trop chers au niveau de l’investissement (bien que produisant un kWh très compétitif) et exigent une culture de sûreté trop souvent absente des PVD.

Les pays majeurs dans le nucléaire -au premier rang desquels la France- devront sans attendre développer des réacteurs de petite taille à sécurité passive, cohérents avec les besoins des PVD. Le projet GT-MHR de 300 MWe, auquel participe la France devrait être accéléré, face au projet PBMR 110 MWe Sud-Africain de ESKOM qui semble l’avoir pris de vitesse. Il faut que la France s’implique généreusement dans le projet international « Génération IV ».

Le problème des ressources de combustibles nucléaires sera abordé dans un message ultérieur.

 

06. La voiture électrique

Elle n’émettra pas de G.E.S.

Mais il faudra que l’outil de production de l’électricité qu’elle consommera n’en émette pas lui non plus faute de quoi la pollution atmosphérique serait seulement déplacée et probablement accrue (à cause des pertes de rendement global) ; il faudra aussi que les automobilistes acceptent de rouler à 80 ou 100 km/h et de s’arrêter plusieurs fois entre Paris et Marseille au lieu d’y aller d’une traite à 130 km/h.

Les quelques 500 millions de véhicules qui sillonnent les routes de notre planète sont entre les mains d’un bon quart de la population et fonctionnent avec des hydrocarbures, essence, gazole, gaz de pétrole liquéfié (GPL) voire gaz naturel, tous carburants émetteurs de G.E.S. Les 3 autres quarts de la population mondiale, ceux qui n’ont pas de voiture, en rêvent. Dans 20 ou 30 ans il y aura peut-être 1 milliard de véhicules routiers qui cracheront 2 fois plus de G.E.S. qu’aujourd’hui.

 

07. L’hydrogène

Sera-t-il « l’énergie virginale par excellence » que ne peuvent être ni le gaz naturel ni les GPL, énergies carbonées à 75% et plus? Non : il sera au mieux un vecteur d’énergie comme nous allons le voir.

Il a cependant deux vertus majeures : (1) il est rigoureusement inépuisable puisque on sait le fabriquer à partir d’eau et qu’il revient à l’état d’eau après sa combustion avec l’oxygène ; (2) il brûle sans émettre de CO2….

…sans émettre de CO2 ?? Oui, à condition de ne pas être fabriqué à partir de pétrole, de charbon ou de gaz naturel; oui s’il provient par exemple de l’électrolyse ou du craquage thermique de l’eau...à condition que la grande quantité d’énergie (électricité ou chaleur) nécessaire à ces processus ne soit pas, elle-même, d’origine carbonée. L’énergie nucléaire peut d’ores et déjà électrolyser l’eau sans émettre de G.E.S. Elle saura, d’ici 20 ans peut-être, la craquer thermiquement avec des réacteurs à très haute température.

Fabriqué ainsi sans aucune émission de G.E.S cet hydrogène pourra animer une voiture: mais il sera un carburant très peu dense, 71 g/litre, c’est à dire 10 fois moins dense que l’essence et contenant, à l’unité de volume, 3 fois moins d’énergie. L’hydrogène devra de plus être, au préalable, comprimé sous 700 bars et stocké dans un conteneur bien épais et bien lourd. Noter enfin que son transport coûtera de 5 à 10 fois plus cher que le transport des produits pétroliers traditionnels.

Au débit de l’hydrogène, il faut également noter que le fabriquer, quel que soit le procédé utilisé, en cassant une molécule d’eau demandera, pour des raisons de rendements nécessairement inférieurs à 1, plus d’énergie que l’hydrogène n’en restituera en se recombinant à l’oxygène…. !!!!

L’hydrogène n’est vraiment qu’un vecteur d’énergie, un vecteur très coûteux ; l’hydrogène n’est pas une source d’énergie.

 

08. Les piles à combustible

Elles n’émettront pas de G.E.S......à condition que leur combustible ne soit pas carboné et, si elles fonctionnent à l’hydrogène, à condition que le procédé de fabrication de cet hydrogène n’émette pas lui-même de CO2 (voir ci-dessus § 07).

 

09. La bio-masse revient à puiser du carbone présent dans la bio-sphère pour en faire sous une forme ou sous une autre un combustible: ainsi le carbone devient CO2...qui redevient carbone via le processus végétal...qui redevient CO2 et ceci indéfiniment. La bio-masse est une énergie douce (voir § suivant) donc chère...mais accessible en monnaie nationale: en ceci elle participe à l’indépendance énergétique. Au premier abord l’idée est séduisante en terme d’écologie car c’est autant de carbone qu’il ne sera pas utile d’extraire des entrailles de la terre (sous forme de pétrole, gaz ou charbon) ni de déposer ensuite pour l’éternité dans notre bio-sphère. Utiliser la bio-masse ce peut être l’opération bien connue du bois de chauffe. La croissance des arbres consomme du CO2 pris dans l’atmosphère (puits de carbone): à tel point que l’on a mis en évidence que leur croissance est plus rapide aujourd’hui que jadis. Mais, après une vie de quelques décennies, l’arbre, si on le brûle, repart aussitôt à l’atmosphère en fumée, c’est à dire en CO2 essentiellement! Cette utilisation énergétique, de toutes façons très onéreuse, a un bilan écologique encore incertain. Quant à la bio-masse pour fabriquer des carburants et de l’hydrogène c’est à la fois possible techniquement et très coûteux (problème d’énergie douce).

 

Tout ceci, hydrogène, piles, voitures électriques, bio-masse, volonté de ne pas émettre de G.E.S. sans que cela coûte trop cher -afin de ne pas freiner le rythme de développement des PVD-  ressemble un peu à une quadrature du cercle. Il faudra beaucoup d’imagination, d’efforts et de volonté politique mondiale pour la résoudre.

 

Dans un message prochain je parlerai de l’avenir des transports dans notre pays : c’est un sujet qui ne peut être absent d’un débat sur l’énergie tant il est vrai que les transports représentent, dans notre pays, de l’ordre de 1/5 de la consommation énergétique et plus de la moitié de la consommation française de pétrole.

 

10. Vent et Soleil

Ils sont porteurs d’espoirs plus sérieux, en tout cas moins utopiques quoique non sans problème. Rappelons ici que c’est le soleil qui fabrique le vent, la pluie (donc l’hydraulique), la bio-masse ; c’est également le soleil qui a fabriqué au cours des âges, à partir des organismes vivants puis morts, le charbon, le pétrole et le gaz naturel. En fin de compte seuls les combustibles nucléaires ne viennent pas du soleil. Notons ici que , en matière de combustibles fossiles carbonés les hommes consomment chaque année ce que la nature a mis 1 ou 2 millions d’années à fabriquer.

Le vent et le soleil, gratuits, inépuisables et disponibles sont une bonne solution si l’on sait s’accommoder de leur intermittence. Les éoliennes devraient permettre d’apporter rapidement l’électricité aux populations isolées, nombreuses en Afrique et en Asie : 2 milliards d’hommes n’ont pas encore l’électricité ! Mais les batteries de stockage qu’elles impliquent posent de sérieux problèmes de coût et d’écologie. Problème d’écologie également, associé à la fabrication des panneaux solaires photovoltaïques.

Le vent et le soleil sont des énergies douces, diluées et de ce fait difficiles à domestiquer pour une production de dimension industrielle. Elles sont inévitablement coûteuses, le solaire photovoltaïque surtout.

Un exemple d’énergie douce: dans 6 seaux d’eau chauffée de 15 à 25°c il y a autant d’énergie disponible que dans un seul seau d’eau chauffée de 15 à 75°c. Avec les 6 seaux d’eau à peine tiède on ne peut guère qu’arroser son jardin: c’est une énergie douce. Avec le seau d’eau chaude on peut faire la vaisselle ou la lessive: c’est une énergie à plus haut potentiel, c’est à dire moins douce, donc plus aisément utilisable. Dans une chaudière cette eau, transformée en vapeur sous haute pression et haute température peut animer un turbo-alternateur et produire de l’électricité.

Le développement des énergies douces dans les PVD est souhaitable et probable: l’absence fréquente de réseau crée des problèmes de transport que seules peuvent résoudre des productions locales d’électricité et, pour le soleil, de chaleur: le solaire et l’éolien entrent dans ce cadre. Mais, dans les pays riches, comme la France, ce développement ne dépassera vraisemblablement pas, outre celui d’un satisfecit politique fort onéreux, le stade  du champ d’expérimentation nécessaire aux constructeurs en vue de la vente à l’exportation vers les PVD de matériels éprouvés . Globalement ces E.N.R n’auront probablement jamais une part de plus de quelques % dans le bilan énergétique mondial et cette part modeste se situera principalement dans les pays émergents.

Remarque : ces derniers jours (début janvier 2003) ont été particulièrement froids avec des températures inférieures à –10°c en de multiples régions de France. D’où un record de consommation électrique plusieurs fois battu (>80 GW en pointe de pointes). Durant ces jours de froid rigoureux il n’y avait pas de vent. Que se serait-il passé si quelques milliers d’éoliennes avaient été substituées à quelques-uns de nos réacteurs nucléaires ?

 

11. L’hydraulique

L’énergie hydroélectrique n’engendre quasiment pas de G.E.S. mais pose, outre les problèmes sociaux liés au déplacement de populations, celui de ruptures rares mais dramatiques de barrages.

La France a équipé ses sites économiquement exploitables : d’autres sites apparaîtront peut-être si le coût des solutions alternatives explose ou pour respecter son engagement à porter à 21% sa part d’énergies renouvelables dans sa production d’électricité. Mais les barrages coûtent cher en investissement et les éoliennes aussi. On voit mal la logique (autre que politique) de cet engagement.

 

Jacques FROT

                                               Ingénieur pétrolier

                                               Ancien Directeur dans le Groupe Pétrolier MOBIL OIL

                                               Animateur de GR.COM Groupe de COMmunication

                                               de l’AEPN Association des Ecologistes Pour le NUcléaire