Débat National sur les Energies 2003

 

Contribution de :

 

Jacques FROT

AEPN - Association de Ecologistes Pour le Nucléaire

 

Au séminaire du 8 janvier 2003 à Paris :

" L’électronucléaire face aux risques majeurs "

 

  1.  Equivalence énergétique

    La co-génération n’est pas l’apanage exclusif du gaz naturel. On sait faire et l’on fait de la co-génération avec le charbon et le pétrole. Plus généralement tous les procédés thermiques (nucléaire compris car le nucléaire est un procédé thermique) de fabrication d’électricité peuvent faire de la co-génération. Il est vrai que le nucléaire actuel ne profite pas de la co-génération car les réacteurs actuels, trop gros, sont implantés trop loin des grands centres de consommation pour que la vapeur moyenne / basse pression puisse, de façon économique, être acheminée vers les installations de chauffage urbain.

    Ce handicap de non co-génération disparaîtra avec les réacteurs de la prochaine génération : ceux-ci seront de puissance unitaire plus modeste et implantés plus près des villes car ils bénéficieront de dispositifs de sécurité intrinsèque. Ils pourront donc produire une vapeur basse / moyenne pression économiquement utilisable.

    Enfin dans les pays à court d’eau douce ils sauront également, via le dessalement d’eau de mer, valoriser l’énergie " Carnot " perdue actuellement dans les circuits de refroidissement : aujourd’hui 30 millions de M3 sont dessalés chaque jour et ce chiffre passera à 100 millions dans moins de 20 ans.

     

  2. Gisements d’économies d’énergie

    L’énergie la plus propre est celle que nous n’utilisons pas : c’est vrai. Mais, paradoxalement, elle est très chère à court et moyen terme avant de devenir gratuite à long terme. L’étude du Commissariat au Plan " Energie 2010-2020 " montre qu’un pays développé comme la France pourrait économiser plus de 40% de l’énergie qu’elle consomme, ceci sans sacrifice significatif sur la qualité de vie. Mais il faudrait, par exemple, modifier l’habitat, l’équipement électroménager et les modes de transport. Affaire de culture sociale, non de lois : il y faudra quelques générations.

    Quoi qu’il en soit c’est une démarche que les pays développés devraient entreprendre tout de suite ; ils se sont développés dans un contexte de gaspillage créé par une énergie bon marché, trop bon marché. Ils devraient dès maintenant aider les pays émergents à ne pas faire la même erreur, c’est à dire les encourager et les aider à se développer dans un contexte de bonne efficacité énergétique c’est à dire de faible intensité énergétique ( faible consommation par unité de PIB).

    Il n’en reste pas moins que plus de la moitié de la population mondiale consomme, par tête d’habitant, 4 à 5 fois moins d’énergie que les habitants des pays de l’OCDE, près de 10 fois moins que chaque citoyen américain : leur enrichissement nécessaire et urgent ne pourra se faire sans un accroissement considérable (multiplication par 2 ou 3) de leurs consommations.

     

    Plusieurs milliards d’hommes ne peuvent économiser l’énergie qu’ils ne consomment pas.

     

  3. L’indépendance énergétique

    La France dispose d’uranium sur son territoire. Elle en reprendrait l’exploitation si les prix mondiaux venaient à exploser. Précisons ici qu’une multiplication par 4 du prix mondial de l’uranium aurait, sur le coût du kWh nucléaire, le même impact que + 3 $/baril de pétrole sur le coût du kWh pétrolier…ou gazier (le prix du gaz suit celui du pétrole avec quelques mois d’hystérésis). L’uranium participe donc réellement à l’indépendance énergétique de notre pays.

     

  4. Three Mile Island

    Ce très grave accident de 1979 (fusion du cœur entraînant la perte du réacteur) n'a pas été meurtrier. Les enseignements de TMI ont été mis à profit par la communauté nucléaire occidentale pour améliorer encore la sécurité des réacteurs. Le système soviétique, malheureusement, ignora ces enseignements d'où…

     

  5. Tchernobyl

    Rappelons ici que ce fut un accident soviétique beaucoup plus qu'un accident nucléaire. Les dommages sanitaires qui l'ont suivi étaient très largement évitables. Voir à ce propos, sur le site de l'AEPN www.ecolo.org les deux études " Causes de l'Evènement Tchernobyl " par Jacques FROT et " Tchernobyl : Quelles conséquences sanitaires ? " par le Professeur André AURENGO.

     

  6. Prolifération

    Le sujet ne fut pas abordé dans le débat. J’aimerais rappeler ici (1) que les nations détentrices de l’arme nucléaire ont su y accéder avant d’avoir des réacteurs de puissance : l’élimination de l’électronucléaire n’éliminerait pas les armes nucléaires; (2) on peut, par exemple, transformer un cœur de réacteur à vocation médicale et lui faire fabriquer du Pu 239 militaire ; (3) les armes biologiques et chimiques sont beaucoup plus redoutables que les armes nucléaires car plus faciles et moins chères à fabriquer.

      

  7. Les déchets radioactifs

    Ce problème est techniquement modeste comparé, par exemple à celui que posent les émissions de G.E.S. des combustibles fossiles. Mais des médias marchands de peur ainsi que des intérêts mercantiles et politiques l’ont transformé en un gigantesque problème de société qui conduit le monde nucléaire vers des solutions dont la justification du caractère extrêmement dispendieux n’est pas établie.

    Il serait bon que l’Institut de France soit appelé à se prononcer sur le problème des déchets radioactifs comme il vient de le faire, pour les OGM, par les voix des Académies Nationales des Sciences et de Médecine.

    Dans une interview récente, de son côté, le Professeur André AURENGO passait à la casserole la peur irraisonnée qui se fait jour à propos des antennes-relais. Il s'indignait, plus généralement, du "renversement de la charge de la preuve" : les accusateurs ne produisent aucune preuve de dangerosité et demandent aux accusés (OGM, antennes-relais, déchets nucléaires…) de prouver leur innocence !

    Nos académiciens sont guidés non par des considérations politiques ou mercantiles mais seulement par la connaissance, c'est à dire par la vérité scientifique lorsqu'ils la maîtrisent. Leur discours est donc crédible. Le discours des cultivateurs de la peur ne l'est pas.

    Je renvoie le lecteur à l’étude de Jacques PRADEL, ancien Président de la Société Française de Radio-protection, membre de l’AEPN " Les déchets radioactifs : une approche simple et réaliste " qu’il vous communique par ailleurs et qui est disponible sur le site AEPN www.ecolo.org

     

  8. Les autres risques majeurs

Je ne me lancerai pas dans un inventaire de l’épouvante et ne rappellerai que quelques évènements majeurs actuels ou récents mais déjà sortis des mémoires (Sources : Quid 1997):

  • Barrage de Machlu (Inde 1979) : 30 000 morts

    Ferry Estonia (Finlande 1994): 840 morts

    Bhopal (Inde 1984) : quelques milliers de morts

    Seveso (Italie 1976) : 0 mort ; conséquences à terme incertaines.

    Accidents de la route (Monde 1994) : 400 000 tués et 12 000 000 de blessés

  • Un large fossé sépare la gravité objective d'un événement et sa représentation dans l'esprit du public.

     

    CONCLUSION :
    L’énergie nucléaire n’est qu’à l’aube son histoire

    Il a fallu au chemin de fer, né dans le premier quart du 19ème siècle, quelques générations de locomotives et de wagons avant qu’il atteigne, en 150 ans, son niveau actuel de maturité dans les domaines de la vitesse, de la sécurité et du confort. L’expérience des trains fumant et cahotant à 30 puis à 50 et 80 km/h fut un chemin difficile et nécessaire vers le progrès. L’énergie nucléaire est à l’aube de son histoire : d’autres générations de réacteurs, conçues et construites sur les bases de l’expérience acquise avec les premiers réacteurs, ceux d’hier et d’aujourd’hui, en feront un outil énergétique encore plus formidable et à la disposition de tous les hommes.

     

    Le panorama énergétique du futur dépendra de la capacité sociale à accepter ou à refuser :

    - les risques liés à l’accroissement de l’effet de serre,

    - ceux liés à l’utilisation de l’énergie nucléaire,

    - ceux associés aux transports individuels,

    - l’épuisement des énergies fossiles,

    - les efforts d’efficacité énergétique,

    - de se préoccuper des prochaines générations ;

     

    In fine ce panorama dépendra du choix que feront les hommes entre le rationnel et l’irrationnel.

     

    Jacques FROT, Animateur de GR.COM
    AEPN

    08 janvier 2003