Effet de serre : l’électricité pour remplacer l’essence et le gazole ?

 

 

Par André Salaün, Docteur-ingénieur en chimie

Ancien directeur de publication de la Revue "Naturellement", ancien secrétaire national du MNLE

(article initialement publié dans la Revue "Naturellement" n°71 et reproduit ici avec l'autorisation de la revue)

 

Les conséquences climatiques des modifications de l’effet de serre produites principalement par les émissions anthropiques de gaz carbonique nécessitent de diminuer fortement (d’au moins 70%) l’utilisation des combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) et de leur trouver des substituts. L’électricité peut remplacer les combustibles fossiles dans la plupart des installations fixes (industries, chauffage…) qui sont responsables des 3/4 des émissions mondiales de CO2. La question se pose pour les carburants des véhicules de transport qui utilisent principalement le pétrole et le gaz naturel. Les transports jouent un grand rôle sur le plan économique mais ils sont responsables d’environ un quart des émissions mondiales de CO2 (130 Mt par an en France). Comment l’électricité pourrait-elle être utilisée pour remplacer l’essence ou le gazole, soit directement - c’est le cas de la voiture électrique - soit indirectement par l’hydrogène ?

 

La voiture électrique

La voiture électrique a l’avantage de ne pas émettre de CO2 ni d’autres polluants de l’atmosphère. Mais son développement se heurte au problème du stockage de l’électricité.

Les accumulateurs actuels ont un " rendement massique " déplorable : Il faut 70 kg de batterie au plomb pour stocker l’énergie correspondant à un litre d’essence et ceci en tenant compte du rendement du moteur électrique (80%) supérieur à celui du moteur thermique (30%). La voiture électrique, dans l’état actuel de la technique, ne convient donc que pour de courts trajets et avec une charge utile faible. Supposons que le problème du stockage de l’électricité. En France, la seule consommation d’essence est de 20 millions de tonnes par an : pour les remplacer, il faudrait fournir pour la recharge des batteries, 87 TWh d’électricité, soit la production de 13 unités de 1000 MWe (centrales nucléaires, évidemment, car elles ne produisent pas de CO2) fonctionnant toute l’année à 80% de leur puissance nominale. Et il en faudrait autant pour remplacer le gazole. Ainsi, le développement de la voiture électrique nécessiterait une augmentation importante de la production d’électricité. Au total près de 30 unités de 1000 MWe pour remplacer la consommation de carburants automobiles alors que le parc nucléaire actuel est composé de 57 unités.

 

L’hydrogène

L’hydrogène est utilisable dans les moteurs à la place de l’essence, comme le GPL ou le méthane (gaz naturel). Mais l’hydrogène est un gaz dangereux : il forme avec l’air des mélanges détonnants dans une large gamme de concentration (de 4% à 74%). Sur le plan de la pollution, le moteur à hydrogène présente de gros avantages sur le moteur à essence car, s’il émet de la vapeur d’eau, il ne produit pas d’émissions de produits carbonés (ni monoxyde de carbone et hydrocarbures, principaux polluants des villes, ni de CO2). Les émissions contiennent cependant des oxydes d’azote qui se forment, à haute température par réaction entre l’oxygène et l’azote de l’air. Ces émissions d’oxydes d’azote n’ont pas d’effets sur la santé de la population aux concentrations qui pourraient être atteintes. Au contraire, même, jusqu’à une concentration de 1000 m g de NO2 par m3 d’air, le dioxyde d’azote (NO2) a un effet favorable sur la fonction respiratoire . Une telle concentration n’est pratiquement jamais dépassée.

 

Stockage de l’hydrogène

L’hydrogène brûle dans l’air pour former de l’eau  H2 + 1/2 O2 -> H2O. La chaleur de réaction est de 29,15 kcalories par gramme (121,8 kjoules par gramme). Ainsi 0,343 g d’hydrogène a la même capacité calorifique que 1g d’essence (10 kcalories par gramme).

Compte tenu de la basse température de liquéfaction de l’hydrogène (- 259°C) et surtout, de la température critique (- 240°C, c’est à dire la température au-dessus de laquelle l’hydrogène ne peut être à l’état liquide, quelle que soit la pression), l’hydrogène ne peut être stocké à l’état liquide que dans les installations fixes et non sur des véhicules comme il en est pour le GPL.

Pour les véhicules, l’hydrogène peut être stocké sous pression comme il en est pour le gaz naturel mais sa faible densité est un inconvénient. Par exemple, examinons le cas du remplacement par l’hydrogène de 20 litres d’essence (soit environ 15 kg) ce qui conduit à une autonomie double de celle d’une voiture électrique : il faut 15 <-> 0,343 = 5,15 kg d’hydrogène, ce qui occupe, à pression atmosphérique, un volume de 62 m3 ou 160 litres sous pression de 400 bars. Le poids du conteneur serait de plusieurs centaines de kg.

En comparaison avec le gaz naturel, il faudrait 12,5 kg de GN dont la densité est de 0,67 g par litre. Le volume serait donc de 18,6 m3 à pression atmosphère ou de 47 litres sous 400 bars, soit un volume 3,4 fois plus faible que pour l’hydrogène (et aussi pour le poids du conteneur).

L’hydrogène peut aussi être " stocké " sous forme d’hydrure que l’on obtient par réaction de l’hydrogène sur certains métaux. Il peut ensuite être libéré par action de l’eau ou par chauffage.

Par exemple l’hydrure de calcium par action de l’eau donne la réaction :

CaH2 + 2 H2O -> Ca(OH)2 + 2H2.

Cet hydrure a déjà été utilisé sous le nom d’hydrolithe mais on ne récupère pas le calcium dont la fabrication est coûteuse.

L’hydrure de magnésium MgH2 est particulièrement intéressant car l’hydrogène peut être récupéré par chauffage MgH2 -> Mg + H2.

Pour contenir les 5,15 kg d’hydrogène de l’exemple cité précédemment, il suffirait de 67 kg d’hydrure (au lieu et place de 15 kg d’essence). Il semble que les hydrures fassent l’objet de recherches pour de telles applications.

 

Production d’hydrogène

L’hydrogène peut être produit par électrolyse ou par méthode chimique.

 

a) Production par électrolyse

Par électrolyse de l’eau, on a la réaction H2O -> H2 + 1/2 O2 (e = 1,23 volts)

Pour produire 1 g d’hydrogène il faut 96 500 coulomb, soit avec une tension de 1,23 volt : 96 500 <-> 1,23 = 118,7 kjoules. Cette valeur est très voisine de la chaleur de combustion de l’hydrogène. Le rendement énergétique serait donc de 100% s’il n’y avait pas la surtension de l’hydrogène (2,4 volts) et les pertes par effet joule. Pratiquement, le rendement de l’électrolyse est, au mieux, de 40%.

Aussi, pour produire 1 g d’hydrogène, il faudra fournir 118,7/0,4 = 296,8 kjoules (soit 82,4 Wh). Pour produire une tonne d’hydrogène, il faudra donc 82,4 MWh.

Pour remplacer les 20 millions de tonnes d’essence consommées par an en France, il faudrait disposer de 565 TWh alors qu’actuellement la consommation française annuelle d’électricité est d’environ 450 TWh. Pour fournir une telle électricité il faudrait 80 unités de 1 000 MWe (nucléaires évidemment). En plus de la construction de ces 80 centrales, il faudrait aussi réaliser les électrolyseurs pour lesquels des problèmes techniques sont encore à résoudre, notamment celui des électrodes …Pour produire l’hydrogène en remplacement des 20 Mt de gazole consommés par an, en France, il faudrait aussi l’énergie de 80 centrales de 1000 MW.

Au total, pour remplacer les carburants, essence et gazole, il faudrait une puissance électrique installée de 1 600 GW (le parc nucléaire actuel est de 600 GW environ).

 

Remarque : la pile à combustible, fonctionnant à l’hydrogène et l’air, est parfois citée pour remplacer le moteur thermique. Le rendement est théoriquement supérieur à celui du moteur thermique mais il faut aussi tenir compte de l’énergie nécessaire pour les équipements annexes. Même en supposant résolus tous les problèmes techniques, la pile à combustible présente des inconvénients, celui du prix et, surtout, le poids qui est, au moins, dix fois celui du moteur thermique.

 

b) Production d’hydrogène par méthode chimique

C’est la méthode utilisée dans l’industrie chimique, très consommatrice d’hydrogène, plutôt que par électrolyse pour des questions de coût. Deux méthodes sont utilisées :

  • 2C + 3H2O + 1/2 O2 -> 2CO2 + 3H2.Ainsi, 24 g de carbone donnent 6 g d’hydrogène, soit 4 g de carbone pour 1 g d’hydrogène. Le rendement énergétique est bon : la combustion de 4 g de carbone donne 31,2 kcalories et celle de 1 g d’hydrogène 29,18 kcalories soit un rendement théorique de 93,5%.
  • L’hydrogène produit par ces réactions peut être séparé des autres gaz (CO2, azote,…) par liquéfaction fractionnée ou par méthode chimique dans le cas du premier procédé.

    Le procédé au " gaz à l’eau " ou procédé Fischer-Tropsch a été utilisé en Allemagne pendant la dernière guerre et récemment en Afrique du Sud, pour la fabrication d’essence.

    Pratiquement seule la production d’hydrogène par la méthode du " gaz à l’eau ", à partir du charbon dont les réserves sont importantes est intéressante. Pour remplacer les 40Mt d’essence et gazole consommés par an en France, il faudrait fabriquer 13,7 millions de tonnes d’hydogène. Les émissions de CO2 serait de 201 millions de tonnes soit 60% de plus que le CO2 émis par la combustion des 40 millions de tonnes d’essence et de gazole. Ainsi, ceci conduirait à une augmentation de l’effet de serre. On aboutit à l’inverse du but recherché.

     

    Conclusion

    On voit qu’il n’y a pas de solution évidente et simple pour remplacer les carburants fossiles utilisés actuellement dans le secteur des transports. Il faut mettre en œuvre toutes les mesures possibles d’augmenter l’efficacité des utilisations de l’énergie et poursuivre les recherches pour améliorer les techniques citées ci-dessus. Une conception malthusienne qui prônerait l’idée qu’il est impossible de répondre aux besoins et la mettrait en œuvre sous forme de restrictions aurait des conséquences sociales (et écologiques) bien plus graves et plus rapides que la lente augmentation de la température due à l’effet de serre. En attendant le jour où, peut-être, on saura maîtriser l’énergie thermonucléaire de la fusion de l’hydrogène (ou plutôt, du deutérium) c’est le nucléaire de fission (uranium et thorium avec mise en œuvre des surgénérateurs) et, à un degré mondial, l’hydroélectricité qui peuvent apporter les moyens de produire de l’énergie en quantité suffisante pour les besoins actuels et futurs de la population mondiale.

    Mais ce n’est malheureusement pas dans cette voie que les pouvoirs publics semblent s’orienter en capitulant devant la minorité d’opposants à l’énergie nucléaire et à la construction de barrages hydrauliques.

    C’est à l’échelle mondiale que des mesures devront être prises pour combattre l’effet de serre qui, inéluctablement, continuera à augmenter pendant longtemps. A l’échelle régionale, il faut prévoir des " scénarios d’adaptation " pour se prémunir contre la conséquence la plus grave de l’augmentation de température : l’augmentation de la pluviosité et les modifications du régime des pluies.

    Indépendamment de l’effet de serre, il faut aussi penser à ce que serait la situation des populations lorsque seront épuisées les ressources en combustibles fossiles. A ce sujet, le professeur Fidel Castro Diaz-Balart écrit  : " Comment les opposants à l’énergie nucléaire pourront-ils justifier leur position actuelle devant les générations futures lorsque les lumières s’éteindront ? ".

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    - André Salaün : " Pollution atmosphérique ", Ecologie et progrès, Editions naturellement, pp181-236, 1997

    - "Energie nucléaire : danger pour l’environnement ou solution pour le 21ème siècle" par Fidel Castro Diaz-Balart. Editions Naturellement (septembre 2001)