LA COGENERATION NUCLEAIRE, UNE ENERGIE D'AVENIR

Par Bruno Comby / Président de l'AEPN

 

La cogénération consiste à produire de l'électricité tout en exploitant la chaleur émise (qui réchaufferait autrement la rivière ou l'océan) dans le but par exemple d'alimenter en eau chaude ou en chauffage des bâtiments ou une ville.

On constate que la cogénération se développe en effet de plus en plus aujourd'hui, notamment dans les pays nordiques où il y a un besoin de chaleur pour le chauffage.

Ce processus est appeler à s'amplifier dans l'avenir, l'énergie coutant de plus en plus cher. Les ressources se raréfiant, la cogénération est un moyen évident d'en faire un meilleur usage.

La cogénération peut être effectuée en brûlant du gaz ou de la biomasse, en Finlande par exemple. On parle alors de cogénération-gaz ou de cogénération-biomasse.

Cependant la cogénération n'est pas le propre du gaz ou de la biomasse, mais de toutes les énergies thermiques. On peut faire aussi, même si c'est moins fréquent, de la cogénération avec du pétrole, du charbon et surtout (notamment dans l'avenir) ... de la cogénération nucléaire.

La cogénération nucléaire pourrait jouer un rôle majeur dans l'avenir pour la réduction de l'effet de serre et la prévention des changements climatiques, en diminuant les émissions de CO2 actuellement très importantes (gaz et fuel) dans le secteur du chauffage des logements.

Par définition la cogénération est un concept écologique qui évite le gaspillage de la chaleur produite par la fabrication d'électricité.

Alors que la cogénération à partir du gaz ou de la biomasse émet dans l'atmosphère des quantités massives de CO2, la cogénération nucléaire est la forme la plus propre de cogénération puisqu'elle n'émet pas de CO2 dans l'atmosphère.

Ce document a pour but de préciser un peu mieux ce qu'est la cogénération nucléaire et la production de chaleur nucléaire, concept aujourd'hui peu connu mais pourtant pas nouveau (cela remonte aux années 1950) et qui a été testé et validé, comme nous allons le voir.

Ce concept est promis a un bel avenir avec le renchérissement du prix des combustibles fossiles et pour lutter contre le changement climatique, et il est donc intéressant d'y regarder de plus près.

De nombreux exemples de cogénération nucléaire fonctionnent actuellement (ou ont fonctionné) avec succès.

Voici une liste de pays où l'énergie nucléaire fait (ou a fait) de la cogénération d'électricité et de chaleur, soit pour le chauffage urbain ou pour fournir de la chaleur à l'industrie :

- Allemagne
- Bulgarie
- Canada
- Chine
- Hongrie
- Inde
- Japon
- Kazakstan
- République Tchèque
- Russie
- Slovaquie
- Suède
- Suisse
- Ukraine.

Passons en revue quelques exemples de cogénération nucléaire.

Un petit réacteur de cogénération nucléaire nommé AGESTA de 12MWe et 68 MWth a chauffé les quartiers sud de Stockholm entre 1963 et 1974. Il serait intéressant de savoir pourquoi ce réacteur a été arreté juste après le premier choc pétrolier, ce qui parait un peu étonnant.

Plus de photos et d'informations sur le réacteur Agesta producteur de chaleur :
Agesta - Vue de la dalle supérieure du réacteur
Agesta - schéma de fonctionnement
Agesta - Le record
Agesta - Une coupe artistique d'Arvid Nilsson
Agesta - Photos et informations techniques
Agesta - Autres photos et informations techniques

Aujourd'hui encore, en République Tchèque, une partie de la chaleur secondaire du réacteur de Temelin est utilisée pour chauffer les immeubles et les maisons de la ville voisine de TYN NAD VITAVOU (8200 habitants) située à une dizaine de kilomètres au Nord de la centrale. La conduite qui transporte l'eau chaude de Temelin à TYN NAD VITAVOU fait environ 50 cm de diamètre. Initialement il avait été envisagé d'utiliser la chaleur secondaire de Temelin pour chauffer à plus grande échelle les quartiers Sud de Prague (environ un million d'habitants, à une centaine de kilomètres au Nord) ou à défaut l'ensemble de la ville de Ceske Budejovice (100 000 habitants, à une trentaine de km au sud-est) mais ces plans ont été abandonnés non pas pour des raisons thermiques mais économiques, parce que cela aurait représenté de gros investissements sur des durées très longues pour casser les immeubles, les maisons et les routes existant(e)s pour installer le réseau de distribution de chaleur dans des villes qui en étaient initialement dépourvues. Il est intéressant de noter que ce n'est pas l'acheminement de la chaleur depuis la centrale qui posait problème et était trop onéreuse (au prix du pétrole d'alors), mais la distribution de chaleur sur place dans la ville d'arrivée qui posait problème (trop onéreuse dans une ville déjà construite sans réseau de chaleur, de plus il s'agissait dans les deux cas de villes hautement touristiques protégées à titre de "monuments historiques" en ce qui concerne Prague et Ceske Budejovice ce qui renchérit encore plus le prix des travaux d'installation d'un réseeau de chaleur). On voit à partir de cet exemple que la cogénération (nucléaire ou pas) est particulièrement adaptée aux (rares) villes déjà pourvues d'un réseau de chaleur ou aux villes nouvelles dans lesquelles le réseau de chaleur a été prévu dès le départ (ce qui était le cas de TYN NAD VITAVOU, ville créée presque ex-nihilo à partir d'un petit village pour y loger les travailleurs de la centrale de Temelin). Cette contrainte (nécessité d'un réseau de distribution de chaleur) s'applique cependant d'une manière générale à tout projet de cogénération pour le chauffage urbain (y compris à la cogénération-gaz) et pas seulement à la cogénération-nucléaire.

 

La centrale nucléaire de Temelin (deux réacteurs en fonctionnement et emplacement pour deux réacteurs supplémentaires)
produit de l'électricité en Bohémie du Sud, ainsi que de la chaleur urbaine pour chauffer la ville voisine de Tyn

Voir les photos de l'AEPN visitant le réacteur de Temelin en 2006 :
http://www.ecolo.org/photos/visite/temelin_06/temelin_10-06/   et :
http://www.ecolo.org/photos/visite/temelin_06/temelin_02-06/

Le premier réacteur de Calder Hall (50 MWe), l'un des plus anciens réacteurs électrogènes au monde qui a fonctionné pendant 50 ans, a fourni dès son démarrage à la fois de l'électricité et de la chaleur pour l'usine de retraitement voisine de Sellafield.

Les Américains étudient actuellement un réacteur de 300 MWe intégré (IRIS - international reactor innovative and secure) pour le chauffage et la production d'électricité de petites villes, par exemple en Alaska.

La cogénération nucléaire a failli se faire en France à Saclay et à Grenoble, avec un petit réacteur souterrain relié à un réseau de chauffage urbain de la ville. Ce réacteur de 90 MW thermiques utilisant entièrement la chaleur produite par le réacteur et ne nécessitant qu'une trentaine d'employés avait alors défrayé la chronique en 1980 (grande époque de la contestation contre Superphenix dans la même région, coïncidence malheureuse de lieu et de calendrier). Son nom était "THERMOS" et il aurait chauffé la ville de Grenoble qui disposait déjà d'un réseau de chaleur. Les études étaient terminées au niveau du CEA et le réacteur était prêt à construire, mais avec la montée en puissance de Greenpeace, de la contestation locale contre Superphenix et la baisse des prix du pétrole (contre-choc pétrolier), le projet a été abandonné. Il est intéressant de noter que ce projet a été abandonné pour des raisons politico-économiques conjoncturelles, et non pour des raisons techniques tandis que les aspects économiques sont à reprendre en tenant compte de la hausse importante du prix des combustibles fossiles ces dernières années.

 

On voit donc que la cogénération nucléaire est possible et n'est pas une idée nouvelle, même si elle a été en partie occultée pendant quelques decennies par un prix artificiellement bas des combustibles fossiles, ou dans certaines régions (comme à Grenoble), par la montée en puissance de la contestation antinucléaire.

Le renchérissement ces dernières années du prix des combustibles fossiles (pétrole et gaz) va remettre à l'honneur la cogénération nucléaire dont beaucoup (y compris parfois au sein des entreprises nucléaires) avaient fini par oublier l'existence.

Les plus grosses installations de cogénération nucléaire jusqu'à présent ont donné une puissance thermique de 100 MWth environ, mais il est possible de construire aussi des installations de taille plus importantes.

En Chine un réacteur de 200 MWth délivrant de la chaleur uniquement (pas d'électricité) est actuellement prévu.

Pour des raisons économiques évidentes, il est probable que les réacteurs de cogénération nucléaire se développeront, dans un premier temps, plus rapidement que les réacteurs uniquement thermiques. Par ailleurs, ceux-cis se développeront là où il y a besoin de chaleur (celle-ci ne pouvant pas se transporter au delà de 50-100 km) c'est à dire :
- dans les pays nordiques (besoin de chauffage)
- à proximité de villes d'une certaine dimension (plusieurs centaines de milliers d'habitants)
- à proximité des centres industriels ayant de gros besoins de chaleur toute l'année (chimie...).

Dans la province canadienne de l'Alberta, l'AEPN fût parmi les premiers à proposer d'utiliser de la chaleur nucléaire, ou la cogénération de chaleur et d'électricité, pour l'extraction des pétroles lourds aux alentours de Fort McMurray sans augmenter les émissions de CO2, et sans épuiser les précieuses réserves de gaz du Nord Canadien qui seraient mieux employées pour d'autres usages. Diverses discussions ont eu lieu à ce sujet depuis 2006 et nous sommes heureux de cosntater que les projets nucléaires dans le Nord de l'Alberta sont maintenant très sérieusement étudiés par les compagnies d'énergie canadiennes telles que Energy Alberta Canada et AECL, et sont en discussion au niveau des autorités aussi bien provinciales que fédérales. Voir sur cette page les documents commençant par "oilsands" : http://www.ecolo.org/documents/documents_in_english/

Les réacteurs à haute température tels que le PBMR en construction en Afrique du Sud ou le HTTR qui fonctionne déjà au Japon (High temperature test reactor) seront particulièrement adaptés compte tenu de leur taille (de 100 à 300 MWe environ) à la cogénération. Le HTTR à Tokai exploité par le JAERI (Japanese Atomic Energy Research institute) est un exemple d'un tel réacteur qui fonctionne déjà depuis des années, fournissant de la chaleur utilisée pour la production d'hydrogène par le procédé S-I (Sulfur-Iodine) qui est le procédé le plus avancé et le plus performant au monde pour la production d'hydrogène à partir d'énergie nucléaire.

Le réacteur HTTR au Japon (visite de l'AEPN au JAERI en 2002) - Voir plus de photos du HTTR

Un petit réacteur de cogénération nucléaire de seulement 150-200 MWe de puissance permet d'éviter le rejet dans l'atmosphère d'environ 1 million de tonnes de CO2 chaque année. En installant ce type de réacteur ayant une très faible empreinte au sol, des réductions majeures des émissions de CO2 pourraient être réalisées (l'empreinte au sol du réacteur Thermos est seulement de 40 x 40 m pour fournir la quasi-totalité des besoins en chauffage urbain de l'agglomération Grenobloise sans émissions de CO2).

Pour en savoir plus sur la production de chaleur et la cogénération nucléaire, voir les documents suivants sur le site de l'AEPN :
http://www.ecolo.org/documents/documents_in_english/cogeneration-nuc-csik-07.html
http://www.ecolo.org/documents/documents_in_english/cogeneration-Antares-ENC-05.pdf
http://www.ecolo.org/documents/documents_in_english/cogeneration-HTR-lo-med-hi.ppt

 

Bruno Comby, President de l'AEPN