Pour une relance des réacteurs surgénérateurs refroidis au sodium

Didier COSTES

Ingénieur Général des Ponts et Chaussées, en retraite

11-04-2003

On semble en France se fixer sur la construction à moyen terme d’un prototype EPR, dans la perspective d’une nouvelle série de réacteurs à eau, validés en économie et écologie immédiate mais qui auront peine à trouver une justification dans le cadre d’options mondiales à moyen terme.

On étudie aussi les RHT, réacteurs à haute température refroidis à l’hélium, plus efficaces en neutrons modérés que les réacteurs à eau, mais pour des petites puissances avec des impératifs de " passivité " assez politiques, et des options comme les grosses cuves en acier avec des liaisons courtes et des supportages perfectionnés. Nous pensons qu’il faudra passer au béton précontraint. Le RHT pourrait à long terme évoluer vers des surgénérateurs, dont l’étude commence.

L’expérience française et mondiale sur les surgénérateurs refroidis au sodium est considérable. Le sodium est le meilleur caloporteur, aisément disponible, contenu à la pression atmosphérique et permettant une grande compacité. Cependant, il réagit avec l’eau et l’air d’où l’obligation d’utiliser des circuits secondaires, et un rejet par une partie de l’opinion : pour Phénix et Superphénix, les précautions, peut-être suffisantes face au danger réel, n’étaient pas spectaculaires.. L’inspection périodique des surfaces en milieu opaque par ultrasons (chariots VISUS) est plus difficile qu’en vue directe dans le cas de l’eau, surtout dans les formes jusqu’ici adoptées.

Le projet EFR de 1470 MWe, amélioré en matière de masses de matériaux, devait fournir une énergie à peine plus chère que celle des EPR. Ce projet a été abandonné, semble-t-il, au motif de la difficulté d’inspection. On peut cependant lui trouver des défauts à corriger :

- L’ensemble primaire reste au dessus du sol, a priori sensible aux agressions (séismes, chutes d’avion, bombardements). Il devrait être mieux confiné, en puits sous une forte dalle générale.

- La cuve suspendue et ses doublages, la cuve interne évasée, les puits de passage d’échangeurs ont des formes complexes qui rendent difficiles ou impossibles les inspections sous sodium.

- Les circuits de sodium secondaire devraient rester en casemates sous gaz inerte, avant de passer aux compartiments GV, eux-mêmes si possible en puits.

Il faut repenser divers aspects. En particulier, on devrait examiner la cuve posée à fond froid (voir annexe), qui réduit les masses d’acier, les diamètres de cuve et le prix, donne une grande robustesse vis-à-vis des agressions et un refroidissement de secours plus aisé, protège contre des accidents internes, et permet de porter un sommier très lourd, stockant pendant des années les éléments combustibles usés, ce qui facilite leur manutention avant retraitement. Les inspections sont plus aisées, ne comportant que des trajets verticaux et horizontaux. Des expérimentations simples permettraient de valider ce type de cuve.

On pourrait, au lieu de construire un EPR, et pour parvenir plus tôt qu’avec les HTR à la surgénération, lancer un prototype de réacteur à sodium ainsi amélioré :

- soit un réacteur moyen, 400 MWe par exemple, avec des éléments combustibles de type Phénix,

- soit une reconstruction de Superphénix avec le maximum de réutilisations (éléments combustibles, pompes, échangeurs, GV, turboalternateurs, sodium…).

Si cette relance économique des réacteurs à sodium en France n’est pas décidée, il conviendrait de collaborer plus activement avec le Japon ou l’Inde qui poursuivent leurs études, pour arriver en commun à des réacteurs très attractifs.

Annexe. La cuve posée pour les réacteurs à sodium.

La cuve posée à fond froid, proposée en 1982, comporte par exemple une couche de sodium en stratification thermique sur une hauteur de 2,5 m entre un fond plat à 100° et un sommier à 400°, d’où un flux de 10,2 kW/m_ ou 2 MW pour un diamètre de 16 m, négligeable vis-à-vis de la puissance de réacteur de 3600 MWth. Le fond froid, refroidi par des tubes d’eau extérieurs soudés, est posé sur une couche de béton insensible aux fuites de sodium, avec surveillance en thermométrie et drainage. Le sommier est porté par des viroles concentriques, avec des orifices pour des engins d’inspection, ou des piliers rectangulaires en cercles, acceptant le gradient thermique sans contraintes importantes.

Entre ces supports, le fond reçoit un garnissage de matériaux pour réduire le flux thermique, dont en zone centrale de l’oxyde d’uranium appauvri pour arrêter et diluer le corium dans un accident de fusion. Ces matériaux reposent sur des pieds minces pour laisser passer les engins VISUS d’inspection du fond. Des tôles de garde horizontales sous le sommier empêchent des jets de sodium de détériorer la stratification thermique et permettent la circulation des VISUS inspectant le sommier.

Le sommier, connecté aux pompes, porte la cuve interne cylindrique qui guide le sodium chaud vers le haut et alimente les échangeurs, par des manchettes de connexion projetées à partir des échangeurs. Cette cuve comporte une isolation thermique par deux cloches à gaz se recouvrant au niveau des manchettes. La cuve primaire cylindrique, soudée au fond froid et soumise en partie basse au même gradient thermique, est contenue dans le puits cylindrique de protection biologique et rétention, en béton avec peau en acier refroidie et calorifugée, solidaire du même fond froid. Le sommet de cuve est joint au puits par une onde de soufflet et le couvercle de réacteur s’appuie sur le puits. Ces dispositions permettent de réduire le diamètre de cuve, conditionné sur la cuve suspendue à fond courbe par la base des échangeurs.

En ce qui concerne la sûreté :

- Les fuites de sodium à travers le fond froid sont peu probables dans une tôle à faibles variations de température et hors tension, et seraient sans conséquence, dans une zone où le sodium serait gelé.

- La fuite thermique vers le bas, dosée par le garnissage, constitue un élément de sûreté.

- La cuve cylindrique, non tendue verticalement, est soumise à de faibles contraintes thermiques. Sa température est limitée à celle du sodium froid, plus facilement que pour une cuve suspendue.

- Le maintien mécanique du cœur est bien assuré en cas de séisme, accident ou agression, ce qui doit permettre d’éviter un supportage parasismique souple.

- La cuve permet une expansion lors d’un accident explosif, sans conséquence en vertical.

- Le soufflet supérieur hors sodium est réparable et une éventuelle fuite ne compromet pas la sûreté.

- Lors d’une montée en température, le cœur monte vers les barres, ce qui renforce le coefficient négatif de température.

- Autour de la cuve cylindrique faiblement contrainte par la pression du sodium, on peut maintenir le vide, donnant une isolation thermique effaçable par inondation de sodium.

Le sommier, bien supporté, peut recevoir de nombreux éléments combustibles déchargés, pour une décroissance radioactive de plusieurs années avant retraitement.

Les inspections peuvent être menées en trajets verticaux et horizontaux pour les cuves primaire et interne, d’ailleurs peu sollicitées, ainsi que pour le fond horizontal et la sous-face du sommier. Le fond froid ne nécessite pas d’inspection mais celle-ci est possible et d’éventuelles réactions seraient détectées à faible niveau par un réseau de thermométrie et drainage. En un tel cas très peu probable, on pourrait réparer par le bas à partir de galeries dans le béton.

Les chaudronneries sont très simplifiées et le prix global devrait fortement diminuer. Des expérimentations simples permettraient de valider ce concept.

Dessin : Comparaison, pour le même cœur, entre cuve suspendue EFR et cuve posée.

1 Fond froid, 2 Viroles de supportage, 3 Sommier, 4 Garnissage de fond, 5. Tôle pour garantir la stratification, formant plancher pour un chariot d’inspection, 6 Cuve primaire, 7 Cuve interne, 8 Cœur, 9 Protections latérales et stockage, 10 Pompe, 11 Echangeur, 12 Manchette d’échangeur, 13 Sodium secondaire en casemate, 14 Galeries sous fond froid, 15 Espace d’inspection du fond froid.

 

Didier COSTES 11-04-2003

135 Avenue Victor Hugo, 75116 Paris

O1 47 045 30 93

didiercostes@wanadoo.fr

Monsieur Jean-Louis Carbonnier

DER

CEA Cadarache, 1308 Saint Paul lez Durance

04 42 25 76 34

Réacteurs à sodium, fond froid

Cher Monsieur,

Je vous remercie de m’avoir donné par téléphone des indications sur les tendances en France en ce qui concerne les surgénérateurs refroidis au sodium. Il y aurait peu d’espoir qu’ils soient repris en considération. Vous m’avez signalé le point important de la difficulté d’inspection des structures, constatée au sujet des réacteurs construits et du projet EFR.

Le fond froid me paraît cependant bien répondre à cette difficulté, car il facilite la circulation des engins d’inspection sous sodium, introduits en vertical et circulant sur des tôles horizontales.

J’ai donc repris les rédactions et le dessin, joints, et projette de les envoyer en contribution au débat national sur l’énergie.

Très cordialement,

Didier COSTES

Copie avec PJ :

69456 LYON Cedex 06

- Monsieur Philippe Garderet, AREVA-Technicatome, BP17, 91192 Gif-sur-Yvette

 

Didier COSTES 13-04-2003

135 Avenue Victor Hugo, 75116 Paris

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didiercostes@wanadoo.fr

Monsieur Jean-Louis Carbonnier

DER

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Réacteurs à sodium, fond froid

Cher Monsieur,

Dans ma lettre du 11 Avril, j’avais omis de faire figurer un autre destinataire, Monsieur Bruno Comby, Président de l’AEPN, Association des Ecologistes pour le Nucléaire.

D’autre part, dans l’annexe sur le réacteur à fond froid, je n’avais pas indiqué que la cuve interne, séparant le sodium ascendant de l’espace des échangeurs, pouvait être calorifugée par deux cloches à gaz cylindriques étagées. La cloche inférieure forme des échancrures vers le haut autour des connexions vers les échangeurs, et elle est partiellement recouverte par la cloche supérieure. Ce calorifugeage n’était pas possible dans le cas de la cuve interne épanouie, associée à la cuve suspendue. Un autre avantage du fond froid est donc que la perte thermodynamique par échange interne est largement diminuée.

Cordialement,

Didier COSTES

Copie  :

- Monsieur Philippe Garderet, AREVA-Technicatome,

- Bruno Comby, AEPN@ecolo.org