Les déchets nucléaires: une question plus politique que technique

Depuis quelques années la question du devenir des déchets est devenue LA question qui conditionne l'avenir du nucléaire.

Les uns, comme Harpagon avec sa cassette, courent partout en criant "Les déchets, les déchets…", les autres prennent un air inspiré, lèvent les yeux au ciel et soupirent "oui, le nucléaire c'est bien, mais que faire des déchets ?". La plupart sont radicalement ignorants du problème et se laissent porter par la mode. D'autres sont carrément de mauvaise foi dans leur passion antinucléaire. D'autres encore, acteurs compétents mais intéressés, se complaisent à souligner l'importance et la difficulté d'un problème, espérant ainsi obtenir un financement confortable de leurs travaux et études. Enfin les riverains, lorsqu'il ne sont pas vraiment effrayés par les propos apocalyptiques des anti-nucléaires, sont souvent tentés par la perspective d'un pactole d'autant plus élevé qu'ils se seront fait priés. Bien peu ont le courage de dire qu'il s'agit là d'un problème que l'on sait déjà résoudre techniquement et que la seule vraie question qui se pose est l'acceptabilité sociale des centres de stockage souterrain. Les quelques éléments qui suivent permettent de se faire une idée un peu précise du danger que pourrait représenter un stockage souterrain des déchets nucléaires.

Contrairement aux déchets chimiques comme l'Arsenic, le Plomb, le Cadmium dont la durée de vie est infinie, les déchets nucléaires ont le bon goût de disparaître avec le temps, même si, pour certains d'entre eux il faut très longtemps. Bien plus, et cela est, en général, soigneusement passé sous silence, plus les déchets nucléaires vivent longtemps et moins ils sont dangereux ! Par exemple l'Iode 129 qui a 15 millions d'années de durée de vie est 1,5 milliard de fois moins dangereuse que l'Iode 131 (1/2 vie de 8 jours), responsable des cancers de la thyroïde de Tchernobyl. La plupart de nos compatriotes sont persuadés que les deux Iodes sont les mêmes !

Autre remarque de bon sens : les déchets actuels sont stockés, sous surveillance, en surface sans qu'aucune conséquence sur la santé publique ait jamais pu être observée. Des conséquences sérieuses ont, toutefois, été observées dans le cas de l'ex URSS ou le plutonium issu des usines militaires de l'Oural étaient purement et simplement rejeté dans l'environnement ! On ne peut exclure complètement des conséquences sérieuses qui pourraient être dues à un incendie criminel de piscines de stockage de combustibles irradiés, par exemple. Le bon sens dit qu'un stockage à quelques centaines de mètres de profondeur sera encore plus sûr qu'un stockage en surface ou en sub-surface. Or tout se passe comme si les populations, mises en condition par les discours démagogiques de certaines organisations qui ont fait leur fonds de commerce de l'opposition au nucléaire, craignaient davantage un stockage en profondeur qu'un stockage en surface ! Non seulement les générations présentes n'auraient rien à craindre d'un centre de stockage souterrain, mais de nombreuses générations futures non plus ! Le seul risque éventuel ne pourait être lié qu'aux transports des déchets.

Une fois enfouis les déchets ne pourraient revenir en surface qu'au bout d'un très long temps après qu'ils aient été dissous par l'eau. On sait que, dans le pire des cas, l'eau souterraine ne pourrait venir au contact des noyaux radioactifs, après corrosion de leur enveloppe de protection, que dans au moins 10000 ans, plus probablement plusieurs centaines de milliers d'années.

Dans ces conditions les noyaux les plus dangereux, Cesium 137, Strontium 90 et actinides mineurs auront disparu depuis longtemps ! Le Plutonium lui même est très peu soluble dans l'eau et peu mobile. Une faible couche d'argile de quelques mètres d'épaisseur suffirait à ce qu'il ne puisse jamais revenir en surface. Or la couche d'argile du site de l'est de la France a 150 mètres d'épaisseur ! Le Plutonium et les Actinides Mineurs doivent leur importance à leur dégagement de chaleur qui déterminera la dimension et donc le coût du site de stockage. Pratiquement seule l'Iode 129 devrait se retrouver dans les nappes phréatiques en liaison avec le site de stockage dans quelques centaines de milliers d'années, la durée du processus de relâchement atteignant aussi quelques centaines de milliers d'années. La règle fondamentale de sûreté imposée par les autorités de sûreté pour la mise en fonction d'un site de stockage impose que l'augmentation de l'irradiation des populations les plus exposées n'excèdent pas le dizième de la radioactivité naturelle. Toutes les simulations effectuées montrent que cette limite ne pourrait pas être atteinte, à aucun moment du futur, sauf, éventuellement, en cas d'intrusion volontaire dans le site de stockage, et ce pour les intervenants eux-mêmes.

Le recours aux surgénérateurs qui s'imposera si le nucléaire doit représenter une part importante de la fourniture d'énergie au plan mondial entraînera une réduction spectaculaire des besoins en stockage, à la fois en volume et en chaleur dégagée par les déchets.

En conclusion passer son temps à discourir sur le caractère inacceptable d'une augmentation éventuelle de l'irradiation, faible devant l'irradiation naturelle, dans quelques centaines de milliers d'année pour une faible population, alors que le réchauffement climatique est déjà à l'oeuvre et promet de prendre un ampleur catastrophique dès la première moitié de ce siècle, c'est copier l'attitude des docteurs byzantins qui discutaient du sexe des anges alors que les canons turcs battaient les murs de Byzance !

 

Hervé Nifenecker

(contribution au Débat National sur les Energies le 22 février 2003)

Conseiller Scientifique au CNRS
Responsable de l'action énergie de la Société Française de Physique
Co-auteur du livre « L'énergie dans le monde : bilan et perspectives » ed. EDP Sciences
Membre du Groupe de Réflexion Energie Environnement au 21ème siècle
Prix Leconte de l'Académie des Sciences
Membre de l'AEPN