Quelques considérations et ordres de grandeur sur la dessalination/purification de l'eau de mer par énergie solaire.
par Bruno Comby, président de l'AEPN

Cette technologie existe déjà même si elle est encore peu connue et peu répandue.  Les chiffres de ventes ne sont pas très élevés pour l'instant et se comptent en centaines de mètres carrés de capteurs par an, ce qui n'est pas beaucoup (petite entreprise fabriquant déjà en série, mais néanmoins  encore artisanale).

Ce qui est intéressant est que le système existe et qu'on dispose donc  de chiffres validés sur son fonctionnement, le nombre de litres d'eau produits et le prix de fabrication du système (qui serait appelé à diminuer en cas d'augmentation des chiffres de vente). Le système s'applique à l'eau douce pour la purifier dans les pays ou elle est  insalubre (régions reculées d'Afrique, Madagascar, iles désertes, etc.)
ou à l'eau de mer ou aux eaux plus ou moins saumâtres (pour enlever le  sel et la transformer en eau douce) au choix, le fonctionnement est le  même, l'installation et les prix aussi. Curieusement, le principal  marché ACTUEL de ce système est essentiellement la purification de l'eau  douce alors que son principal intérêt FUTUR me semble être la DESSALINATION.

Ce fabricant propose d'ores et déjà plusieurs modèles au catalogue, parmi lesquels :

- un petit modèle domestique destiné à fournir l'eau de boisson pour une ou deux personnes (par exemple sur un bateau ou sur une ile déserte),  avec capteur de 60 x 80 cm donnant au maximum (dans une région à fort  ensoleillement) 3 litres par jour d'eau douce purifiée. Prix du système : 190 Eur. Emprise au sol : env. 1 m2 (+ accès / allées entre les capteurs à prévoir si installation en nombre).

- un modèle plus gros donnant au maximum (dans une région à fort  ensoleillement) 20 litres par jour d'eau douce purifiée, avec un capteur  solaire d'environ 3 m2. Prix de l'installation (aujourd'hui, avec production artisanale en petites quantités) : 1000 Eur. Emprise au sol : env. 3 m2 (+ accès / allées entre les capteurs à prévoir si installation  en nombre). Prix de revient du m3 d'eau douce : de 10 à 20 Eur par m3  (voir calculs ci-dessous) selon l'ensoleillement, le nombre de capteurs  installés, etc. (à comparer à l'eau en bouteilles ou en gerrycans pouvant coûter jusqu'à 100 Euros par m3).

La plus ancienne version de ce système a avoir été installée fonctionnerait depuis 12 ans aux Canaries. Les premiers modèles étaient en acier et avaient bien sûr tendance à rouiller en climat marin. Les nouveaux modèles ont un cadre en alu (comme les capteurs solaires pour la production d'eau chaude domestique) et ne rouillent plus. Le (petit) industriel allemand (quasi-artisanal) qui vend actuellement ces systèmes de dessalination/purification solaire de l'eau a de son côté une installation qui fonctionne ainsi dans la région de Francfort depuis 6  ans. Son système est cormmercialisé depuis quelques années mais pour l'instant il en vend relativement peu (une centaine par an ?).

Comment marche ce système de DESSALEMENT SOLAIRE ? Il s'agit en gros d'un marais salant artificiel, mais à l'intérieur d'un espace vitré (alors qu'un marais salant est ouvert sur le ciel), dont l'eau évaporée chargée d'humidité, au lieu de partir dans l'atmosphère, reste confinée dans le système et est recondensée à intervalles réguliers. Il n'y a pas d'ébullition proprement dite, mais simple évaporation/recondensation. Pendant un certain temps le système chauffe et est en phase d'évaporation puis il recondense pendant un certain temps, et ainsi de suite (succession de périodes d'évaporation et de condensation).

Le système est totalement autonome : pas besoin de réseau électrique ou d'autre source d'énergie. L'énergie d'évaporation est fournie par le soleil (solaire thermique) et le petit peu d'électricité indispensable en particulier pour faire fonctionner l'électronique qui commande le système (gestion de l'alternance des périodes d'évaporation et de condensation) est fournie par un petit capteur solaire (photovoltaique).

Il n'y a quasimment pas d'entretien. Comme pour le nucléaire (ou les éoliennes) l'essentiel du coût est donc dans l'investissement initial.

Comme l'eau ainsi fabriquée est plus ou moins chaude à la sortie du système, et que l'eau chaude (même dessalinisée et pure) favorise la multiplication des bactéries, on trouve à la sortie du système une petite cartouche à charbon actif (qui est fournie avec le système - la durée de vie d'une petite cartouche à charbon actif étant de 5m3, il faut la changer tous les 2 ans environ, l'eau fournie étant déjà quasi-pure, la cartouche a une longue durée de vie et ne contribue pas significativement à alourdir le prix du système : changer le filtre prend moins d'une minute et le prix de quelques filtres est négligeable devant le prix du système initial).

Plusieurs installations de ce type ont été vendues notamment aux iles Christmas, aux iles Marschall et autres lieux éloignés des réseaux de  distribution d'eau potable des grandes compagnies des eaux. Dans ces lieux éloignés, le système est d'ores et déjà compétitif car l'importation d'eau en bouteilles ou en gerrican, parfois amenée par avion... peut coûter typiquement 100 Eur/m3.

Avec l'unité de 3m2 de surface qui produit au mieux 20 litres d'eau par jour (selon l'ensoleillement, disons 10 l par jour en moyenne) et coûte 1000 Eur à l'achat, la production moyenne serait de 3,5 m3 par an, soit 50 m3 au total sur une durée de vie de l'installation qu'au peut estimer à au moins 15 ans, ce qui met le m3 d'eau ainsi obtenu à 20 Euros/m3 (voire 10 Euros/m3 si très fort ensoleillement), ce qui est déjà rentable dans des régions reculées type ile déserte, par rapport à l'importation d'eau douce en bouteilles ou en gerrycans, avec en plus l'avantage 1/ de l'autonomie 2/ de ne pas contribuer à l'effet de serre ou à l'épuisement des ressources fossiles (quoiqu'il faudrait vérifier l'énergy payback period EPP du système, en tenant compte de l'énergie nécessaire à la fabrication du système).

Il peut y avoir des applications inattendues (mais marginales). Par exemple une société de BTP a acheté ce système pour fabriquer l'eau distillée (ultra-pure) nécessaire aux batteries de ses engins de terrassement travaillant dans des régions reculées.

D'une manière générale il s'agit pour l'instant d'un marché de "niche" non compétitif avec l'eau des grandes compagnies des eaux fournie dans les grandes cités et les grands pays industriels à quelques Euros par m3 (prix public pour le client final).

Toutefois, ce système de dessalination / purification solaire de l'eau devrait voir sa compétitivité s'améliorer à mesure 1/ qu'il est produit en plus grande série, 2/ que le prix du pétrole et le gaz se renchérissent 3/ plus encore si l'on intègre les coùts externes et environnementaux (taxe sur le CO2, etc.).

S'il était possible de gagner un facteur 4 sur le prix de fabrication de ces capteurs, c'est à dire produire le module de 3m2 pour 250 Euros au lieu de 1000 Euros actuellement, alors l'eau produite ainsi serait compétitive avec l'eau des grandes compagnies des eaux CHEZ NOUS ET AUJOURD'HUI. Cela me paraît déraisonnablement optimiste à court terme, et je tablerai plus volontiers sur une réduction des prix de fabrication d'un facteur 2 à moyen terme (plutôt que 4) mais DEMAIN (c'est-à-dire dans 10 ou 15 ans pour des pays chauds, loin des routes et des réseaux électriques amenant l'électricité à faible coût de revient, ou même dès aujourd'hui déjà dans des cas limites genre ile déserte, et ) et compte tenu des 3 facteurs évoqués au paragraphe précédent, il me paraît probable que la dessalination/purification solaire de l'eau se développera, ne serait-ce que pour produire l'eau dans les régions éloignées des réseaux électriques alimentés demain par des réacteurs nucléaires à haute température (le moment venu, on n'y est pas encore...) ou peut-être en attendant ceux-ci, si l'humanité déraisonnable tarde trop à développer les réacteurs du futur.

Une des questions intéressantes est de savoir si les HTR seront prêts pour un développement en nombre suffisant dans les PVD avant la grande crise de l'approvisonnement en eau qui s'annonce dans les régions chaudes notamment (Afrique, Asie tropicale, Amérique centrale, etc.) ? La technologie de dessalement solaire de l'eau de mer, si elle revient sans doute plus cher que le futur dessalement par HTR (tout cela restant à chiffrer plus précisément?), a l'avantage d'être relativement simple et pourrait peut-être être déployée plus rapidement ? Bien qu'il faille pas mal de matériaux de construction et de surfaces à y consacrer, il me semble, à première vue que la technologie du dessalement solaire a pour vocation de boucher les "gaps" et servir de "roue de secours" soit aujourd'hui dans les régions ou l'importation d'eau douce est trop chère (en raison de leur éloignement) soit demain dans les régions ou le manque d'eau se fera le plus cruellement sentir, en attendant que les HTR soient prêts pour la relève ?

Actuellement, le constructeur qui vend ce système de DESSALINATION trouve des clients essentiellement intéressés par un système de PURIFICATION solaire de l'eau (douce ou saumâtre selon les cas), et les clients sont essentiellement des sociétés ou des clients aisés (il faut pouvoir financer l'acquisition du système, ce qui n'est pas à la portée de l'habitant moyen d'un PVD) voulant de l'eau douce sur une ile ou en région reculée (ou l'eau est chère), qui comparent en général le prix du système avec celui de l'eau en bouteille amenée sur place par avion ou par bateau (et dans certains cas, c'est déjà compétitif). En ce qui me concerne, je ne vois pas bien l'avantage, pour la simple purification de l'eau douce, du système solaire par rapport à une simple cartouche à charbon actif plus imple et nettement moins couteuse (de deux ordres de grandeur) qui suffit à rendre l'eau douce potable (certes, moins pure, les éléments minéraux n'étant pas éliminés, mais ils sont utiles pour la santé). En revanche l'application DESSALINATION me parait plus intéressante et une simple cartouche à charbon actif n'y suffit pas. Il me semble que demain ce système sera utile surtout pour la DESSALINATION de l'eau de mer utilisant le soleil comme énergie primaire.

Petit calcul : un hectare (= 10 000 m2) couvert d'unités de ce genre avec 50% d'espace que l'on réserverait pour les allées de circulation entre les capteurs, produirait environ 15 m3 d'eau par jour (éventuellement jusqu'à 50 m3 par jour et par ha dans les régions les mieux ensoleillées et en optimisant les allées de circulation entre les capteurs pour mettre un peu plus de capteurs par ha). Compter aujourd'hui, dans une région bien ensoleillée, environ 300 m2 de surface au sol pour produire 1 m3 d'eau par jour.

Il serait intéressant de comparer ce système avec, dans le futur (quand le pétrole et le gaz seront rares et chers), le prix du dessalement d'un m3 d'eau de mer par un réacteur nucléaire à haute température HTR par exemple.

La déssalination solaire est et restera sans doute marginale dans la production globale d'eau potable pour l'humanité, mais mérite une étude plus complète et aura néanmoins sa place, fût-ce sur un petit marché de niche dans certains cas extrêmes (ce qui est déjà le cas aujourd'hui).

Ci-joint une feuille de calcul au format EXCEL donnant des indications chiffrées par le constructeur du déssalinateur solaire, sur le prix d'une installation produisant 1 m3 d'eau dessalinisée par jour. Il est intéressant de remarquer qu'il ne s'agit pas d'une théorie sur le futur, mais d'un prix-catalogue pour du matériel d'ores et déjà disponible à l'achat aujourd'hui (il suffit de passer commande). Le prix d'une installation produisant 1 m3 d'eau dessalinisée par jour est de 40 000 Euros environ (hors génie civil), soit, étalé sur 15 ans, dans un pays disposant d'un bon taux d'ensoleillement, un prix de revient de l'installation (montage de l'installation inclus) de 7,50 Euros par m3 (hors génie civil). Les prix de production/maintenance ne sont pas nuls, mais relativement faibles. Le prix du génie civil n'est pas donné par le constructeur car il s'agit d'une prestation locale qu'il ne peut tarifer, celle-ci étant forcément réalisée localement, mais ce coût me parait lui aussi faible devant le prix de l'installation (égalisation/compactage/stabilisation du sol, ou coulage d'une chape de béton, sur 300 m2 environ). L'essentiel du coût est donc bien celui de l'installation. Soit un prix de revient du m3 d'eau qu'on peut estimer à environ 8 à 10 Euros par m3 environ (sans taux d'actualisation), ce qui n'est pas si cher que cela pour un système qui est encore artisanal et pour de l'eau qui est précieuse dans le désert.

Le système de dessalination solaire de l'eau de mer pourrait de plus sans doute être adapté pour produire aussi du sel ? Mais ce ne serait peut-être pas compétitif avec le sel actuellement produit de manière fort simple dans les marais salants quasimment sans aucun investissement sauf être propriétaire du terrain, un peu de terrassement au départ et un peu d'huile de coude ensuite ? C'est l'énergie solaire qui provoque l'évaporation de l'eau dans les marais salants actuels.

Autant la production d'électricité solaire (panneaux photovoltaiques) coûte très cher, a un fort mauvais rendement (de l'ordre de 15%) et ne sera pas compétitive avec l'électricité nucléaire dans l'avenir (tant qu'il y aura de l'uranium et du thorium), c'est-à-dire pour plusieurs dizaines de millénaires, autant les usages thermiques de l'énergie solaire (production d'eau chaude domestique, chauffage des habitations, et peut-être aussi le dessalement de l'eau de mer, sont appelés à se développer.

Quand on parle de l'énergie solaire, il faut bien distinguer l'énergie solaire THERMIQUE (dont on utilise la chaleur : eau chaude solaire, le chauffage solaire des habitations, peut-être le dessalement solaire...) qui est appelée à se développer et doit être encouragée (et qui de plus dispose d'un gros avantage écologique en se subsituant au pétrole et au gaz, producteurs de CO2), du solaire PHOTOVOLTAIQUE (qui fabrique de l'électricité), qui est en compétition avec l'électricité nucléaire (déjà très propre, et beaucoup moins chère et de très loin que les kWh photovoltaiques y compris dans un avenir prévisible). La photovoltaique est donc de peu d'intérêt, aussi bien pour des raisons écologiques qu'économiques et ne remplacera pas les moyens actuels de production, pour la grande production d'électricité. L'énergie photovoltaique restera essentiellement cantonnée (à moyen terme) à des toutes petites puissances produites loin des réseaux électriques, par ex. pour alimenter une borne téléphonique d'autoroute ou pour recharger une petite batterie sur un voilier en mer. Dans ces cas c'est très cher au kWh mais la quantité consommée est toute petite et rend possible un service important rendu à l'usager : pouvoir appeler au secours depuis une borne d'autoroute et pouvoir recharger une petite batterie alimentant une petite radio, une ampoule de faible puissance ou un micro-ordinateur sur un voilier.