15 septembre 1999, Révision 18/1/02
"LES DĖCHETS NUCLĖAIRES A VIE LONGUE, UN ENJEU DE
DĖMOCRATIE"
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M. Boissac de
l’ANDRA, dans une lettre à Libération, (1/9/99) a eu raison d'insister sur le
fait que l'opinion publique veut avant tout de la crédibilité et veut s'assurer
de l'impartialité des acteurs, surtout dans un domaine de spécialistes, assez
fortement scientifique, où le public est généralement obligé de faire confiance
à ces spécialistes.
J'aimerais
ajouter, en fonction de mon expérience de constructeur d’installations
chimiques et aussi nucléaires au cours de ma carrière à SGN-Ingéniérie,
quelques remarques d'ordre concret :
Premièrement, les déchets nucléaires à vie longue
font peur à cause de leur radioactivité et de leur très longue durée de
vie. Il faut remarquer que, sur
l'ensemble des déchets nucléaires, seule une petite fraction, de l'ordre de 10
%, est effectivement à vie longue. Pour
le reste de ces déchets nucléaires, la décroissance radioactive fait que la
radioactivité devient pratiquement nulle au bout d'environ 300 ans. Il faut savoir toutefois que plus la durée
de vie (dite "période de décroissance") d'un élément radioactif est
longue, plus réduite est sa radioactivité spécifique (par unité de volume ou de
poids). Par exemple, tous les êtres vivants, hommes, animaux, plantes,
contiennent du potassium : une partie de ce potassium (le potassium-40) est
radioactif naturellement, mais avec une période de décroissance d'environ un
milliard d'années; les quelques 8000 becquerels de notre corps dus à ce
potassium naturellement radioactif dans notre corps, à d’autres éléments
radioactifs que nous avons absorbés dans notre alimentation, et aussi à des éléments de notre organisme
rendus radioactifs par le bomardement incessant des rayons cosmiques auxquels
nous sommes continuellement soumis, ne semblent pas faire problème. Il faut
ajouter que des centaines de milliers d’années plus tôt, cette radioactivité
était plus importante, car entre temps, la radioactivité naturelle sur la Terre
a décru en vertu des lois de décroissance radioactive.
Ce qui veut dire que pour les déchets de
haute activité initiale vitrifiés, un beau jour, c'est-à-dire entre 1000 et
4000 ans, il ne restera plus que quelques éléménts à vie très longue, mais de
radioactivité spécifique d'autant plus réduite que leur vie est longue,
justement. Ces déchets auront perdu la majeure partie de leur radioactivité
détectable à l'extérieur des « emballages », celle que l'on mesure
avec un compteur dit bêta-gamma, pour ne conserver essentiellement qu'une
radiotoxicité dite alpha qui nuit par ingestion ou contamination, car les
rayons alpha sont peu pénétrants, ils sont arrêtés par la peau ou une feuille
de papier. Autrement dit, avec le temps les déchets radioactifs s'apparentent aux
autres déchets industriels toxiques qui nuisent à la santé par contamination et
ingestion. Ce point est fondamental pour l’appréciation de la toxicité des
déchets radioactifs à vie longue.
Quatre mille ans, bien
sûr, c'est très long, mais c'est voisin de l'âge des Pyramides. Remarquons que si l'on sait mesurer des
traces de déchets nucléaires dans un milieu quelconque (eau, terre...) grâce à
des compteurs très sensibles et se protéger en conséquence, il est beaucoup
plus difficile, long et coûteux de détecter et mesurer des traces de poisons
tels qu'arsenic, mercure, benzène... dans ces mêmes milieux.
Deuxièmement, la toxicité des déchets nucléaires en
termes d'atteinte à la santé (cancers en particulier) peut se comparer à celle
de déchets industriels toxiques tels que les composés mercuriques, les métaux
lourds, certains produits organiques toxiques ou cancérigènes, etc... Certains
de ces déchets industriels ont des durée de vie tout aussi longues que les
déchets nucléaires, d'aucuns sont éternels et ne décroissent pas avec le
temps. En revanche leur volume est
beaucoup plus important : par exemple la France produit avec ses 58 réacteurs
et l'usine de retraitemet de la Hague,
environ 4 500 m³/an de déchets nucléaires "à vie longue" (dont
seulement 120 m³/an très actifs au début) et par ailleurs quelques 1 000 000 (1
million) m³/an de déchets toxiques probablement tout aussi dangereux, sinon
plus, car plus labiles dans l'eau.
Cette remarque n'est pas destinée à détourner la discussion, elle tend
seulement à attirer l'attention du public sur les termes relatifs du problème
des déchets : l'arbre nucléaire ne doit pas nous cacher la forêt des déchets
pris dans leur acception générale. Ces 120 m3/an très radioactifs au début sont
entreposés sur le site de la Hague en France (ou de Sellafield en Angleterre)
pour leur laisser le temps de se refroidir, car leur radioactivité génère de la
chaleur, afin que leur stockage final se fasse dans les meilleures conditions,
en évitant par exemple que l’argile imperméable qui entourera les colis
vitrifiés ne perde une partie de ses propriétés d’absorption par une
« cuisson » de cette argile.
Déchets en France
Déchets chimiques très toxiques ~1 000 000
m3/an Décharges de classe 1
Déchets nucléaires ~
30 000 m3/an Stockage en
surface dont : déchets à vie
longue ~ 4 500
m3/an Stockage profond
dont : déchets à vie longue, très
radioactifs pendant ~1 000 ans,
actifs "alpha" ensuite ~120 m3/an (*)
(*) Loi du
30/XII/91 : Voies étudiées : Stockage souterrain, entreposage en surface,
séparation et transmutation
Troisièmement, les spécialistes des questions nucléaires doivent sortir de
leur tour d'ivoire et donner des explications simples, car c'est très
possible. Les "écologistes"
antinucléaires, de leur côté, doivent
cesser d'affoler le public en évoquant ces déchets "dont le devenir n'a
pas trouvé de solution, qui menacent les générations futures ...". (On pourrait ainsi se demander, dans ce bas
monde, ce qui a trouvé une solution définitive, si ce n'est notre propre
mort !)
En réalité, pour
les déchets de faible et moyenne
activité à vie courte, il existe déjà bon nombre d’installations de stockage
dans le monde, utilisant des techniques diverses selon les sites et
fonctionnant parfaitement.
Pour les déchets
de haute activité initiale et à vie longue, la réalité est qu’on n’a pas choisi
encore entre les solutions sûres dont on dispose déjà, et qu’on fait des
recherches sur d’autres possibles. On est en fait, dans la plupart des pays
concernés, à la phase de recherche de sites convenables pour le stockage
définitif de ces déchets et on étudie
en détail les caractéristiques de sites potentiels afin de choisir pour chacun
d’eux une combinaison appropriée des
solutions techniques disponibles.
Il faut aussi
faire mieux connaître les "analogues naturels".
Qu'entend-on par analogue naturel ? Il
s'agit dans le cas des déchets nucléaires, d'exemples géologiques que la nature
nous a laissés ou donné à étudier en comparaison avec les dépôts souterrains ou
en subsurface projetés pour stocker définitivement les déchets nucléaires - ou
non-nucléaires d'ailleurs. Il existe de
nombreux analogues naturels répertoriés de par le monde et étudiés par les
spécialistes, telle cette forêt italienne engloutie dans l'argile il y a des
millions d'années, dont le bois est resté intact sans avoir été pétrifié. Le cas le plus phénoménal a été la
découverte à Oklo, au Gabon, de plusieurs réacteurs nucléaires naturels
souterrains qui ont fonctionné de manière intermittente au gré des pluies
équatoriales, il y a 2 milliards d'années, pendant des centaines de milliers
d'années. Or on s'aperçoit que l'argile
entourant ces réacteurs naturels, malgré le lessivage équatorial, a très bien
enrobé les déchets nucléaires, y compris le plutonium formé, qui n'ont
quasiment pas migré au cours des âges.
Cette constatation et d'autres corroborent les expériences et les études
diverses, notamment les études PAGIS et EVEREST de la Commission Européenne,
qui concluent à l'absence de risque au cours des âges à venir, pour les
personnes vivant au-dessus de dépôts radioactifs enfouis à 500-800 mètres
au-dessous d'eux, même s'ils mangent les légumes, boivent l'eau et le lait du
crû. L'irradiation due à ce dépôt, à
n'importe quel moment, ne dépassera pas un millième de l'irradiation subie de
manière naturelle. Messieurs les
propriétaires et fermiers, votre terrain ne sera pas déprécié !
Enfin, il faut se demander si les déchets nucléaires ont un
intérêt pratique. Nous avons quatre
composants principaux dans ces déchets :
(1) l'uranium, (2) le plutonium, (3) les "actinides mineurs",
c'est-à-dire des éléments proches du plutonium dans la table des éléments de
Mendeleieff : neptunium, américium, curium..., et (4) les "produits de
fission" qui résultent de la fission de l'uranium, du plutonium et des
actinides mineurs dans un réacteur. Les
déchets à vie longue, pour simplifier, sont surtout ceux des trois premières
catégories et surtout du plutonium. Or
ces trois premières catégories peuvent être récupérées et recyclées pour
produire de l'énergie : c'est ce qui est fait avec les combustibles mixtes
uranium-plutonium, baptisés MOX, dans nos réacteurs actuels. Mais la manière la plus efficace de
"brûler" ces trois catégories et d'en tirer toute l'énergie
disponible est sans conteste le réacteur à neutrons rapides, un vrai
"mange-tout", dont Phénix et Superphénix sont les précurseurs. Soit dit en passant, il est éminemment regrettable
de se passer de Superphénix qui préfigure les réacteurs de l'avenir, car au
lieu de brûler 1 à 2 % de la matière fissile comme aujourd'hui, ils sont
théoriquement capables de tout brûler !
Restent les
"produits de fission", magma complexe d'une cinquantaine d'éléments,
certains radioactifs, certains stables, qu'il est difficile d'isoler en l'état
actuel des connaissances. Certains ont
pourtant des propriétés remarquables, tels le rhodium, analogue au platine et
encore plus rare et cher que lui. On s'en sert pour toutes sortes de
catalyseurs, et l'avènement des piles à combustible et des pots catalytiques,
entre autres, en plus des synthèses chimiques, va en augmenter la demande. Or l'usine de retraitement de la Hague
reçoit chaque année dans les éléments combustibles qu’elle traite, mais envoie
actuellement aux déchets, à peu près autant de rhodium que le marché mondial
n'en met en vente. Ce rhodium, ainsi
que du palladium et du ruthénium, se retrouve pour 50 % dans des
"boues" qu'il ne serait pas trop compliqué de mettre de côté avant
vitrification des déchets. Après
environ 20 ans de "décroissance", le rhodium extrait des produits de
fission pourrait être utilisable. Il y aurait lieu d'approfondir cette
question du rhodium et des éléments voisins.
D'autres produits de fission peuvent être utiles : le xénon est un
"gaz rare" important pour l'industrie. Il serait possible de l’isoler
dans les gaz émis lors de la dissolution des éléments combustibles usés en tête
de retraitement. Toutefois, le prix de la séparation de ces composés est à
mettre en face de l'intérêt de l'utilisation et du coût futur de ces éléments
dont les réserves naturelles sont limitées.
La
"séparation"et la "transmutation" des éléments radioactifs
à vie longue en éléments de vie plus courte, opération chère au Professeur
Carlo Rubbia, participe des questions concernant les déchets radioactifs. Cette opération complexe - et nécessairement
imparfaite - peut se faire dans les réacteurs rapides dont il a été question
plus haut.
Ces remarques
sont destinées à éclairer le problème des déchets nucléaires, du retraitement,
des réacteurs rapides, sous un jour nouveau.
Il est important de voir l'aspect positif des choses, même lorsque l'on
parle de "déchets". N'en
déplaise au Président Carter qui avait banni aux Etats-Unis le retraitement des
combustibles usés, cette opération rend possible le recyclage des matières
nucléaires pour en tirer de l'énergie et la diminution des quantités de déchets
à vie longue d'un facteur supérieur à 100 par rapport aux combustibles usés non
retraités ; peut-être, plus tard, la séparation de produits de fission qui
pourraient se révéler fort utiles.
Voilà des
éléments concrets que le public doit connaître au sujet des déchets
radioactifs. Nous souhaiterions, pour
notre part, que certains déchets toxiques industriels dont le volume, comme on
l'a vu, est beaucoup plus important, et la toxicité à terme, comparable,
fassent l'objet d'autant de sollicitude pour leur devenir que les déchets
nucléaires à vie longue.
M.
Lung
<www.ecolo.org>