P R É A M B U L E

 

 

Ce document est constitué, outre ce préambule, de deux parties :

 

 - La première partie reproduisant in extenso :

- La deuxième partie constituée de quelques remarques qui, loin d'éloigner le lecteur de l'esprit du texte précédent, y apportent des éclaircissements, l'illustrent et le corroborent, avec des extraits d'un article rédigé par un spécialiste, apportant quelques précisions claires et indispensables.

J.-C. O.

 

*********************

1ère partie

 

16 septembre 1999

SÉNAT 3057

RÉPONSES DES MINISTRES AUX QUESTIONS ÉCRITES

 

 

PREMIER MINISTRE

Abandon du surgénérateur Superphénix

 

3728. - 23 octobre 1997. - M. Alain Peyerefitte attire l’attention de M. le Premier ministre sur l’abandon annoncé du surgénérateur " Superphénix ". Cette décision paraît avoir été prise de manière arbitraire, sans délibération gouvernementale. À plus forte raison sans débat parlementaire, contre l’avis de l’académie des sciences, sans consultation du commissariat à l’énergie atomique (CEA) ni d’Électricité de France (EDF). Peut-on connaître, peut-on entendre les spécialistes qui ont pu conseiller une telle attitude ? Il est regrettable de constater que des préjugés idéologiques l’emportent sur les intérêts du pays et sur les calculs de la raison. En 1996 et 1997, la parfaite marche de Creys-Malville a démontré que les techniques mises en œuvre dans une centrale à neutrons rapides étaient aujourd’hui au point pour une utilisation à l’échelle industrielle. Cette centrale est un prototype unique au monde. Il est donc normal que, pendant ses premières années de service, elle ait connu des pannes et nécessité des réglages. C’est le lot de tout prototype, surtout à un pareil niveau de haute technologie. Aujourd’hui, il apparaît qu’elle est devenue fiable, moins polluante que les autres centrales nucléaires et a fortiori classiques, et qu’elle fonctionne bien. D’autre part, la sûreté de Superphénix n’a jamais été mise en cause. La direction de la sûreté des installations nucléaires autorise en effet régulièrement, après des vérifications minutieuses, la poursuite de l’exploitation de cette centrale. La décision, confirmée par M. le Premier Ministre dans sa déclaration de politique générale, ne concerne pas uniquement le destin d’un réacteur isolé. Elle s’inscrit bel et bien, par sa dimension stratégique, dans l’Histoire. Elle concerne l’indépendance et la pérennité de l’approvisionnement énergétique de la France. En tout état de cause, une décision si lourde de conséquences ne devrait pas être définitivement arrêtée sans que le Parlement ait eu l’occasion d’en débattre. Il lui demande s’il lui paraît acceptable qu’un effort acharné de trente ans, qui a permis au pays d’acquérir une position de tête dans la technologie nucléaire la plus difficile, se trouve sacrifié à une alliance électorale de circonstance, pour satisfaire une infime minorité, qui n’a à offrir de son côté que des fantasmes ou des illusions de retour au passé.

 

 

Abandon du surgénérateur Superphénix

16396. - 13 mai 1999. - M. Alain Peyrefitte rappelle à M. le Premier ministre les termes de sa question n° 3728 qui n’a toujours pas obtenu de réponse à ce jour.

 

Réponse. - L’honorable parlementaire attire l’attention du Premier ministre sur l’arrêt du surgénérateur " Superphénix ". Conformément à ses engagements politiques, et en particulier à ceux pris par le Premier ministre lors de la campagne législative, le Gouvernement a en effet décidé le 2 février 1998 l’abandon de Superphénix, prototype lancé dans les années 70, dans un contexte de pénurie d’énergie et de faiblesse estimée de ressources en uranium. Cette centrale est désormais inadaptée au contexte actuel. En outre, ce prototype, qui constituait un saut technologique considérable, a été difficile à maîtriser et a coûté beaucoup plus cher que prévu. Il ne peut en l’état constituer un modèle à répliquer à l’identique dans un programme d’équipement en surgénérateur. Pour autant, Superphénix représente une technologie très riche, développée par des personnels particulièrement motivés et performants, qui ont montré que la France savait mettre au point des équipements technologiques innovants de très haut niveau. Il faudra tirer profit de l’expérience accumulée et poursuivre les recherches dans le domaine des réacteurs à neutrons rapides pour l’avenir à plus long terme. Lorsque le Gouvernement a pris la décision d’arrêter Superphénix, le réacteur était à l’arrêt, le Conseil d’État ayant annulé le décret autorisant son fonctionnement. Le précédent Gouvernement n’avait pas signé le décret autorisant Superphénix à redémarrer en tant que centrale de production électrique ; de plus un rapport de la Cour des comptes stigmatisait son coût global. Le Gouvernement a donc décidé que Superphénix ne redémarrerait pas, même pour une durée limitée. Pour autant, les opérations de démantèlement dureront plusieurs années et seront à la charge d’EDF. Le Gouvernement entend mettre à profit l’expérience qui sera acquise lors de ce démantèlement, en vue de celui des centrales classiques. Par ailleurs, le Gouvernement a confirmé la poursuite des recherches sur la transmutation, de manière à fournir au Parlement les moyens de prendre des décisions sur l’aval du cycle 2006. À court terme, les programmes de recherche nécessaires pour le respect de la loi de 1991 ont été orientés sur Phénix, réacteur de taille plus petite mais conçu dès le départ à des fins de recherche. Phénix est particulièrement souple pour l’expérimentation, du fait notamment de la brièveté du cycle, et permet de disposer d’une instrumentation adaptée aux études expérimentales. Sa montée en puissance a été décidée en 1998, après avis favorable de l’autorité de sûreté. Comme suite à une première campagne d’essais, ce réacteur fait actuellement l’objet de travaux de jouvence afin de pouvoir répondre aux programmes de recherche jusqu’en 2004.

 

*********************

2ème partie

Quelques remarques

 

Notes pour faciliter la lecture de la réponse du Premier ministre :

  • 1.- près de 2 ans se sont écoulés entre la question " pourquoi voulez-vous casser Superphénix ? " et la réponse,

    2.- la question a été posée avant la prise de décision officielle, la réponse a été apportée après la décision,

    3.- le Premier Ministre se réfère seulement à sa promesse électorale, il ne fait nullement état de dangers pour la santé publique, ni de risques pour les populations, l’environnement ou les travailleurs et ne met pas en cause la sûreté des installations de Superphénix ni l’excellence des choix technologiques, ni la qualité des techniciens auxquels il adresse ses félicitations,

    4.- le Premier ministre ne critique pas la rentabilité de l’exploitation, mais uniquement le montant des dépenses (qui n’ont rien coûté aux contribuables) par rapport aux prévisions ; sur le problème financier et certains aspects techniques, voici quelques extraits de l’article de M. Michel Lung " L’AVENTURE DE SUPERPHÉNIX " :

  • ……………………………………………………………………………………………………………………
  • On évoque le coût excessif de Superphénix.. La cour des Comptes a évalué le coût total du projet jusqu’en 2000 et sans compter les ressources en ventes de courant, à 60 milliards de F., chiffre aussitôt brandi comme "excessif". Ce coût comprend la construction (26 milliards), les combustibles (2 milliards), l’exploitation, les réparations et les arrêts imposés (12,5 milliards), le tout payé par NERSA (1). Il a été prévu de dépenser 16,3 milliards jusqu'à fin 2000, pour retraiter les cœurs non brûlés et procéder au désarmement et démantèlement progressif de l'appareil au cours des années. On retrouve les 60 milliards annoncés par la Cour des Comptes en 1996, mais dont, en réalité, 40 milliards environ ont été dépensés à la date de l’arrêt et payés par Nersa.

    Un fonctionnement régulier à 1000 MW aurait pu rapporter entre 1,5 et 2 milliards de F. par an, à rapprocher d'un coût d'exploitation d'environ 900 millions de F. par an.

    Les frais de dédommagement des actionnaires étrangers de NERSA, déboutée par la décision du Gouvernement français, sont compensés par des fournitures de courant d’EDF à ces partenaires étrangers entre 1996 et 2000.

    Tous ces frais et ceux à venir sont donc à la charge d'EDF. L'arrêt intempestif et prématuré du réacteur occasionne des frais et dommages considérables : le manque à gagner du réacteur qui avait encore devant lui une réserve de combustibles pour fonctionner 1500 jours à pleine charge, le démantèlement à chaud, les dédommagements des travailleurs et de la région, le coût des essais et combustibles spéciaux préparés en pure perte par le CEA pour tester l'incinération du plutonium et des déchets selon la Loi de 1991 sur les déchets, peuvent se chiffrer à plus de 20 milliards, sans compter le préjudice moral et la mise devant le fait accompli des partenaires étrangers dans NERSA.

  •  

    ……………………………………………………………………………………………………………………

  •  

    Est-ce à dire que les réacteurs rapides ont vécu ? Je ne le pense pas, ceci est d'ailleurs confirmé par les Russes en particulier, qui ont une bonne expérience de ce type de réacteur depuis 1969 (réacteur BOR-60 suivi de BN 600). Les avantages de souplesse, d'économie de combustible, d'utilisation d'uranium naturel ou appauvri sans enrichissement, d'incinération des actinides, de très faible production de déchets par kWh fourni, de particulièrement faible risque d'irradiation du personnel d'exploitation, d'absence de pression, en font un appareil remarquable.

  • ……………………………………………………………………………………………………………………
  • Le réacteur rapide n'a pas dit son dernier mot mais il reste à le perfectionner tout en le simplifiant. "L'aventure de Superphénix" et celle des réacteurs à neutrons rapides ne fait que commencer.

  • Michel LUNG, ingénieur, diplômé de Génie Nucléaire, ex-Directeur à SGN, membre actif de la Société Française d'Énergie Nucléaire (SFEN), membre de l'Association des Écologistes Pour le Nucléaire (AEPN), membre du World Council of Nuclear Workers (WONUC)

  • ________________

    (1) Société NERSA (1974) propriétaire et exploitante du réacteur (EDF 51 %, ENEL 33 %, consortium SBK allemand-belge-hollandais 16 %)